La jeunesse n’emmerde plus le Front National ?
De plus en plus de jeunes n’hésitent pas à manifester leur soutien au Rassemblement National. Le mouvement part à la conquête de cette partie de l’électorat, autrefois en première ligne dans la lutte contre l’extrême droite.
Des affiches du Rassemblement national sur un panneau publicitaire à Hénin-Beaumont le 14 décembre 2024 Photo : Taiyo OGURA
À 14h, une foule afflue dans le vestibule du Grand Hôtel de Valenciennes (Nord). À gauche de la façade majestueuse de style années 30, s’étire une queue bien rangée le long des immeubles de la rue des Monnayeurs jusqu’au lycée Wallon, situé 250 mètres plus loin. Les gens attendent patiemment, un livre blanc et noir à la main. Leur objectif ? Voir l’auteur en personne : Jordan Bardella.
Depuis novembre dernier, le président du Rassemblement national (RN) sillonne le pays pour dédicacer son ouvrage autobiographique Ce que je cherche, publié le 9 novembre (Fayard, 324 pages). Séance après séance, le scénario est toujours le même : des heures d’attente, une file interminable à perte de vue, des livres flambant neufs … De Marseille à Paris jusqu’à Ajaccio, toutes les séances, ou presque, cartonnent.
À Valenciennes, ce 9 mars, des manifestants de gauche se sont eux aussi rassemblés pour contester sa venue, à l’occasion de la Journée internationale des droits des femmes. Des drapeaux communistes, écologistes, LGBTQ+ et du collectif Nous Toutes flottent sur la place de la Gare. L’ambiance est tendue. Des policiers s’interposent entre les deux camps. Le face-à-face est engagé : Motivés de Zebda résonne depuis le haut-parleur d’un syndicat en réponse à La Marseillaise, entonnée par les sympathisants du RN. Le rapport de force ne joue clairement pas en faveur des manifestants, peu nombreux et blottis les uns contre les autres, qui élèvent la voix en ordre dispersé.
Les manifestants rassemblés devant le Grand Hôtel de Valenciennes le 9 mars 2025, Photo : Taiyo OGURA
Le jeune politique de 29 ans s’impose désormais comme l’une des figures incontournables dans le paysage politique français. Selon une enquête IFOP publiée le 5 mai, il recueillerait entre 33 et 35 % des voix au premier tour de l’élection présidentielle de 2027. Ce sondage réalisé auprès d’un échantillon représentatif de 10 000 personnes pour Hexagone, un groupe de réflexion financé par le milliardaire conservateur Pierre-Édouard Stérin, pronostique même Jordan Bardella plus favori que Marine Le Pen au second tour. Un résultat qui fait grincer des dents même la leader du parti, fragilisée par une condamnation à cinq ans d’inéligibilité avec exécution provisoire pour détournement de fonds, prononcée fin mars.
Dans les séances de dédicace, véritables vitrines de sa popularité, souffle un vent de renouveau sur l’électorat du RN : les jeunes qui ne se cachent plus à afficher leur soutien à l’ex-Front national. « Le RN n’est pas d’extrême droite. C’est un parti totalement différent : il n’y a aucune comparaison entre Jordan Bardella et Jean-Marie Le Pen », affirme Lucie, une lycéenne en terminale.
Comme cette fille politisée d’à peine 18 ans, beaucoup de jeunes partisans du RN se disent ouverts au débat. Et regrettent qu’en France on se fasse aussitôt qualifier « d’extrême, faciste et raciste » quand on se déclare de « droite ». Toujours avec des éléments de langage aussi rodés que leurs parents.
L’autographe obtenu par Mathias à Valenciennes le 8 mars Photo : Taiyo OGURA
« L’islamisation, on la voit beaucoup au lycée »
« Les langues qui s’entendent dans la rue, ce ne sont que des langues africaines, arabes. C’est décevant », déplore Mathias, un étudiant valenciennois de 18 ans. Pour cet amateur de Formule 1, lunettes argentées et costume bleu marine, le parti à la flamme est le seul à vouloir « garder la France puissante telle qu’elle était dans la génération précédente ». En jetant un œil sur les syndicalistes qui viennent « déranger », il s’efforce de minimiser : « Cet événement n’est en aucun cas politique : Jordan Bardella a juste retracé son parcours de vie comme un écrivain … »
Lien entre immigration et insécurité ? Incontestable pour Fanny et Manon, venues à la séance d’Hénin-Beaumont (Pas-de-Calais), fief de Marine Le Pen. « Pour les filles, c’est compliqué de marcher dans la rue. On ne peut plus sortir, jour et nuit, tout le temps », se désolent-elles. Ces jeunes femmes originaires d’Arras confirment qu’il y a des immigrés « partout » dans leur commune. Ce sentiment d’insécurité lié à l’immigration ne sort pas de nulle part selon les Arrageoises, marquées par l’assassinat de Dominique Bernard, professeur de lettres, par un islamiste d’origine ingouche, survenu près de chez elles en 2022. Choquée, Fanny, aujourd’hui au chômage, nourrit de la sympathie pour sa star : « Dans son livre, il raconte en toute franchise son enfance en cité, on ne va pas se mentir, un peu difficile, entourée par tout ce qui est la drogue. »
Même si ce n’est que la moitié de l’histoire d’un adolescent qu’il était, ayant grandi avec sa mère divorcée dans la cité Gabriel Péri en Seine-Saint-Denis. Un narratif mis en avant pour légitimer son discours contre l’immigration et le terrorisme. L’autre moitié ? C’est celle d’un fils unique qui passait des week-ends chez son père, chef d’entreprise, dans les quartiers aisés du Val-d’Oise à Montmorency et Deuil-la-Barre. Un récit que lui, et ses partisans, n’abordent jamais, ou presque. Dans son ouvrage, on ne retrouve plus celui qui, au lycée privé Jean-Baptiste-La-Salle, donnait des cours de français à des migrants.
Pour les jeunes sympathisants, Reconquête! est une excuse parfaite pour éviter le procès en extrémisme contre leur camp. Mais leur discours prend parfois l’allure d’un certain Zemmour. « L’islamisation, on la voit beaucoup au lycée », se confie Anastasia, jeune adhérente du RN. Selon elle, cela se traduit dans son école par « tout ce qui est le port du voile ». Pourtant, la loi de 2004 interdit les signes religieux ostentatoires à l’école, dont le voile. Interrogée, cette militante répond sans intervalle : « Il n’y a pas de personnes voilées dans l’école, elles restent entre elles en dehors. »
Fanny et Manon (de droite à gauche) devant la salle de l’Abbaye à Hénin-Beaumont le 14 décembre, Photo : Taiyo OGURA
Intentions de vote doublées en deux ans
Le 22 avril 2002, des dizaines de milliers d’étudiants et de lycéens ont battu le pavé partout en France pour s’opposer à la qualification de Jean-Marie Le Pen au second tour de l’élection présidentielle. Stéphane Baly, aujourd’hui conseiller municipal écologiste de Lille, en faisait partie. Jeune doctorant à l’Université de technologie de Compiègne à l’époque, il se remémore ce moment historique avec une certaine amertume face à la banalisation actuelle du RN : « En 2022, il n’y a eu ni les jeunes, ni les vieux qui sont sortis dans la rue pour faire barrage à Marine Le Pen. »
Alors que le « non » au fondateur du Front national était sans appel avec 82,21 % des suffrages pour Jacque Chirac, la victoire de sa fille, créditée de 41,45% au second tour, semblait plus que jamais probable. « Les digues ont cédé », déplore le quinquagénaire, en évoquant « le virage à 180 degrés » d’Éric Ciotti, successeur lointain de l’ancien Président de la République, et son ralliement au RN lors des législatives anticipées de l’an dernier. La contestation contre le parti d’extrême droite, autrefois consensus indiscutable, devient désormais un sujet de débat.
Selon Jean-Yves Camus, spécialiste de l’extrême droite, la société française a connu des transformations majeures depuis vingt-trois ans : perte d’influence des grandes organisations antiracistes, individualisation de cette génération, moindre implication dans les combats collectifs, baisse généralisée du militantisme, repli derrière les écrans … Pire encore, le déclin du Parti socialiste (PS), historiquement proche des collectifs antiracistes, ne contribue pas à renforcer le contrepoids face à la montée de l’extrême droite, explique-t-il.
« On voit bien qu’il y a une pénétration de plus en plus forte du RN dans les primo-votants (18-24 ans), et puis dans la tranche suivante, jusqu’à 35 ans », confirme Jean-Yves Camus. Selon un sondage d’Ipsos réalisé auprès de 10 286 personnes et publié le 30 juin 2024, 33 % des répondants âgés de 18 à 24 ans ont en effet déclaré avoir l’intention de voter pour le RN au premier tour des élections législatives. Un chiffre deux fois supérieur à ceux observés dans les sondages en 2017 et 2022, où le parti d’extrême droite stagnait autour de 15%. Certes, le Nouveau Front Populaire (NFP) reste majoritaire dans cette catégorie d’âge avec 48% des intentions de vote en 2024, mais la marée bleue commence à monter.
Autres progrès réalisés : une part croissante de jeunes adhérents sont désormais devenus titulaires d’un diplôme ou issus des classes sociales les plus aisées. « L’électorat jeune de Jean-Marie Le Pen était souvent composé de personnes qui travaillaient, qui n’étaient pas allées plus loin que le BAC », analyse Jean-Yves Camus. Signe de la percée du RN dans cette frange de la population, le parti s’implante dans les syndicats étudiants. A commencer par l’Union nationale inter-universitaire (UNI), longtemps proche des Républicains (LR) et qui avait jusqu’ici dressé un cordon sanitaire avec le RN.
D’après Clément Vanheuverswyn, directeur adjoint du Rassemblement national de la jeunesse (RNJ) et chargé de la communication au sein du parti, la dernière présidentielle a marqué un tournant. « Une partie importante de militants dans La Cocarde étudiante, plus radicale, est devenue pro-Zemmour. Mais depuis 2022, de nouveaux venus, favorables au RN, commencent à rejoindre l’UNI », se souvient l’ancien responsable adjoint de La Cocarde étudiante Lille.
« Non, ça ne nous intéresse pas, mais il revient toujours »
Comment les jeunes électeurs en sont arrivés à une telle adhésion ? Leur réponse est unanime : les réseaux sociaux de Jordan Bardella, notamment TikTok sur lequel il cumule 2,1 millions d’abonnés (à la date du 28 mai). « Il apparaît souvent sur TikTok et ses vidéos sont drôles. explique Marius, jeune chrétien fraîchement baptisé de 17 ans, Il arrive bien à répondre à des clashs. » L’engouement de la part des jeunes surprend même ses pairs : « C’est assez impressionnant. Il y a même des lycéens qui ne sont pas encore en âge de voter qui viennent le voir », se remémore Emeric Salmon, député de la Haute-Saône et témoin de son déplacement à Vesoul pour la Sainte-Catherine, noyé dans l’effervescence d’une foule de jeunes.
Un Bardella qui prépare vite un sandwich debout, dîne un téléphone dans une main et une cuillère dans l’autre, taquine une enfant avec des bonbons … On le voit dans des vidéos sur l’application préférée des ados. Certains ne peuvent s’empêcher de ressentir une proximité avec ce jeune adulte si ordinaire sur leur écran. « Il sait être proche des jeunes. Les gens l’aiment pour sa “vibes” », affirme Lucille, une étudiante en BTS de 18 ans.
Le président du RN en marge de sa visite à la centrale à charbon Émile Huchet à Saint-Avold, en Moselle le 7 mai 2024
« Il ne parle pas de politique, mais utilise plutôt les codes des influenceurs », analyse Sophie Jehel, maîtresse de conférences en sciences de l’information et de la communication à l’Université Paris 8. La chercheuse raconte avoir été « frappée » par l’ampleur du phénomène lors d’une étude dans un lycée. « J’ai demandé à des jeunes de 15 ans s’ils voyaient des messages politiques sur leurs réseaux sociaux, et ils m’ont tous crié : “Bardella !” » Une réaction d’autant plus surprenante, qu’il s’agissait d’un établissement situé en banlieue ouest de Paris, plutôt favorisée : « Ils m’ont dit : “Non, Madame, ça ne nous intéresse pas du tout, mais il revient toujours.” » Pourquoi les algorithmes de TikTok favorisent les vidéos de Jordan Bardella ? Une question qui mérite d’être explorée, selon l’universitaire.
Aux dires du député Emeric Salmon, la stratégie de séduction numérique auprès des jeunes ne date pas d’hier, le Front national ayant été le premier parti à se doter d’un site Internet. « Si on veut toucher les jeunes, il faut utiliser les réseaux sociaux aujourd’hui », assume le quinquagénaire.
Conviction changeante, voire opportuniste
Pourtant, Christèle Lagier, chercheuse en sociologie électorale de l’Université d’Avignon, met en garde contre une lecture simpliste qui voudrait que toute la jeunesse devienne massivement radicale et pro-RN. La sociologue rappelle que cette catégorie d’âge est particulièrement mouvante et hétérogène : la tranche des 18- 24 ans regroupe à la fois des étudiants et de jeunes actifs. « La très grande majorité des jeunes s’abstient de manière beaucoup plus importante que le reste de la population. Ils présentent d’ailleurs des caractéristiques sociologiquement très différentes », nuance-t-elle.
Leur conviction politique est aussi changeante, voire opportuniste. En somme, le vote des jeunes, volatile, est loin d’être complètement acquis pour le RN. Munie d’un drapeau tricolore, Rosy, originaire d’Étaples de 15 ans, n’a pas hésité à effectuer quatre heures en train pour faire dédicacer sa bible pour la deuxième fois à Valenciennes. Future militante du RN autoproclamée, la jeune lycéenne fait son stage, consistant à accompagner le député du Pas-de-Calais Philippe Fait. Il est … macroniste. « Il est un ancien maire de ma ville. Il y a des membres de ma famille qui le connaissent », reconnaît-elle. Peu importe les bords politiques, pourvu que cela lui permette de se rapprocher de son rêve : exercer un métier lié à la politique. « J’aime bien aussi Gabriel Attal, parce qu’il est jeune », ajoute-elle.
Le changement de pied a encore été plus radical pour Anastasia : elle ne fait pas mystère d’avoir été attirée par La France insoumise (LFI), avant de « retrouver son chemin avec le RN ». Cette adolescente de 17 ans, qui s’est initiée à la politique « en lisant Karl Marx », critique aujourd’hui ses camarades du lycée qui sont « tous hypocritement de gauche ». « C’est mon père qui m’a mise dans la gauche. Je pense que tout le monde se perd une fois. »
Kévin Pfeffer, désormais député RN de la Moselle, n’a pas non plus résisté aux errances de sa jeunesse. Ce trentenaire a fait ses premiers pas lors de la présidentielle en 2007 pour soutenir la campagne de Ségolène Royal, candidate socialiste. « Je n’y vois pas vraiment d’incohérences, se défend-il. car on change d’opinion surtout avec l’entrée dans le marché du travail », analyse celui qui était toujours étudiant au moment où il s’est engagé pour la première fois aux côtés de Marine Le Pen en 2011.
Mouvement de jeunesse en pleine restructuration
Ses débuts politiques avec le Parti socialiste ne l’ont pas empêché de faire carrière au sein du RN : il devient conseiller régional du Grand Est en 2014, accède au bureau national deux ans plus tard et décroche un siège à l’Assemblée nationale en 2022. « Le Rassemblement national a toujours été un parti qui a beaucoup fait confiance aux jeunes », raconte Kévin Pfeffer, souriant.
Jordan Bardella, David Rachline, Marion Maréchal, Flavien Termet … Il énumère ces jeunes vedettes qui ont rapidement gravi les échelons par le biais du RNJ. Cette organisation de jeunesse sert, selon lui, de « centre de recrutement » avec pour objectif de « repérer de futurs talents, candidats et cadres ». Et il ne fait pas exception. Ce natif de Forbach, lui, avait été déniché par Florian Philippot, ancien vice-président parachuté dans sa circonscription pour les législatives de 2012.
Selon l’élu, le mouvement de jeunesse constitue un levier important pour parler aux jeunes. Même si cela ne fut pas toujours le cas : « Le FNJ n’avait jamais servi à grand-chose : il comptait peu de membres et ceux qui existaient entretenaient des relations toujours ambiguës avec les jeunesses radicales », rappelle Nicolas Lebourg, historien et spécialiste de l’extrême droite.
Dans les années 90, certains militants collaient des affiches pour le parti de Jean-Marie Le Pen et, une fois le masque tombé, on s’apercevait que c’était les mêmes gars du Groupe union défense (GUD), une organisation étudiante d’ultradroite réputée pour ses actions violentes, précise le chercheur. « Ce sont des jeunes trop violents pour être utiles à la stratégie du parti », conclut-il.
La carte d’adhésion de Michel, 19 ans, chargé de la communication du RNJ Val-du-Marne, Photo : Taiyo OGURA
Aujourd’hui, cette institution d’environ 25 000 adhérents emboîte le pas à son « grand frère », le RN qui aimerait normaliser son image à tout prix : elle se veut plus structurée, ou du moins fréquentable. Le pouvoir de son directeur national a ainsi été renforcé ces dernières années. « Depuis 2023, il peut nommer les responsables jeunes des départements », explique Clément Vanheuverswyn. La Commission de discipline peut également être saisie par le directeur « en cas de fautes graves, de conflits internes majeurs ou d’attitudes contraires à la ligne politique fixée par le mouvement », peut-on lire dans le règlement intérieur adopté en avril 2023. « C’est un gros pouvoir quand même, puisqu’il n’y a qu’une dizaine de personnes dans le parti qui peuvent y recourir », affirme l’ancien collaborateur stagiaire auprès de Sébastien Chenu.
Enterrer l’image de parti ringard qui colle à l’ex-Front national
Le parti d’extrême droite impose au mouvement de jeunesse une hiérarchie stricte. « Le RNJ n’a ni d’indépendance ni de budget. On ne peut rien faire sans l’accord du parti », indique le Nordiste. Toute personne de moins de 30 ans devient ainsi automatiquement membre du RNJ à partir du moment où elle adhère au RN. « Contrairement à d’autres partis, on ne peut pas être adhérent du mouvement de jeunesse sans être adhérent du parti », résume Emeric Salmon. Les jeunes militants sont donc appelés à faire preuve de discipline vis-à-vis du parti. La nomination en 2022 de l’actuel directeur Pierre-Romain Thionnet, bras droit de Jordan Bardella, traduit aussi la volonté de la PME familiale structurée autour de Le Pen et ses proches de ne jamais lâcher les commandes du train, même quand c’est son « petit frère » qui le conduit.
« On essaie d’organiser des événements à la fois conviviaux et politiques. Il ne faut pas faire que de la politique, sinon les jeunes ne vont pas être intéressés », explique le député de la Haute-Saône. C’est là que des militants prennent un verre, mangent ensemble ou font des soirées pour créer des liens … Un véritable lieu « cool » pensé pour la génération Z dans le sillage de la stratégie de dédiabolisation du parti. L’objectif : rattraper le retard dans la conquête des esprits de cette partie de l’électorat et enterrer l’image de parti ringard qui continue à coller à l’ex-Front national. « Les jeunes n’ont pas forcément envie de passer du temps avec des plus vieux », reconnaît le député mosellan.
Ces tentatives de normalisation du mouvement commencent à porter leurs fruits. Michel, un jeune militant noir d’origine martiniquaise, lunettes rondes et trombone sur l’épaule, revendique sa conviction « patriotique ». Étudiant en musicologie à la Sorbonne sur le campus de Clignancourt, il a choisi de ne pas s’engager pour les syndicats étudiants de droite : « Ils sont éclipsés par les syndicats de gauche dans ma fac : il n’y a que des affiches du NPA ou des communistes, que des tags pro-Palestine sur les murs. »
Le militant chargé de la communication a finalement décidé de prendre sa carte dans le parti d’extrême droite. Le déclic ? Une altercation avec deux « communistes » qui l’ont abordé dans sa faculté : « Une fois qu’ils ont compris que j’ai des idées proches du RN, ils m’ont dit : “Vous, les Martiniquais, vous voulez essayer d’être blancs” » Le jeune homme de 19 ans est désormais un habitué du Forum RNJ, une conférence hebdomadaire au siège du parti situé dans le XVIe de Paris, qu’il trouve « sympa et convivial ».
Comme Michel, Jordan Bardella a lui aussi été un moment étudiant à la Sorbonne dans le XVIIIe arrondissement. Lui a adhéré à l’UNI, mais devait cacher son appartenance au parti lepéniste. Dégoûté, il a vite changé d’arrondissement pour fréquenter le Forum. « Après la conférence, il commandait des pizzas, puis sortait dans un bar. Voilà, Jordan Bardella a commencé comme ça », témoigne le proche de Florian Philippot. Aujourd’hui, l’actuel président du RN incarne l’archétype du succès de cette restructuration du mouvement.
Jeunes militants comme « fer de lance »
« Le RN a une obligation de véritablement trouver de nouvelles ressources électorales pour passer de 42% en 2022 à plus de 50% en 2027. Tout ce qui peut être pris est bon à prendre. Chez les jeunes, oui, mais pas seulement », tempère Jean-Yves Camus. Mais les membres du mouvement ne prennent pas à la légère l’importance de la jeunesse : « Les jeunes jouent un rôle primordial pour aller rencontrer d’autres jeunes sur le terrain. On ne va pas envoyer des retraités tracter à la sortie d’une fac. Leur engagement amène d’autres jeunes à voter pour nous », s’exclame le député de la Moselle.
Pour Clément Vanheuverswyn, ce sont des jeunes, dotés d’une meilleure condition physique, qui servent de « fer de lance ». Ce jeune communicant de 23 ans qui prépare sa campagne pour les municipales de 2026 affirme : « Les partis qui ne comptent plus beaucoup de jeunes, comme le PS ou LR, disparaissent progressivement des esprits. »
À 17h30, le silence revient peu à peu à Valenciennes. Les manifestants commencent à se disperser à mesure que le soleil se couche. Les drapeaux syndicaux désertent un à un la place de la Gare. Il ne reste plus que le vide. De l’autre côté de la rue, une foule de sympathisants du RN se prolonge toujours, livre noir et blanc à la main, jusqu’à perte de vue.
Taiyo OGURA